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Introduction à la réunion débat du 22 mars 2019

Des partis de droite extrême, d'extrême-droite ou populistes sont arrivés au pouvoir ou aux portes du pouvoir dans plusieurs pays. Aux Pays-Bas, le Forum pour la Démocratie (FvD) vient par exemple d’emporter le 20 mars le plus grand nombre de siège au Sénat, avec près de 15% des voix, 12 sièges sur 75, alors qu’il s’y présente pour la première fois, avec une campagne nationaliste, anti-Europe, anti-musulman, contre la société multiculturelle…

Au niveau européen, un sondage de début mars annonce que les forces les plus réactionnaires, contestant l’Union européenne au nom du repli national, seraient en progression, avec plus de 22% des voix, divisés en trois groupes, Conservateurs et réformistes européens (CRE) avec le Parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir en Pologne et qui pourrait être rejoint par le Fidesz au pouvoir en Hongrie ; Europe des nations et des libertés (ENL) avec le RN de Le Pen et la Ligue de Matteo Salvini en Italie ; et l’Europe de la liberté et de la démocratie directe (ELDD) un groupe qui comptait jusqu’à maintenant dans ses rangs le M5S italien, mais à l’avenir incertain.

En Europe, les exemples de progression de partis nationalistes et d’extrême droite sont nombreux, charriant selon les histoires locales, leurs relents de racisme, d’antisémitisme, de haine des musulmans, de sexisme, d’homophobie, d’identité chrétienne, etc. Des discours qui servent à certains partis à se propulser au pouvoir, tandis qu’autour d’eux, gravitent des groupuscules qui se sentent encouragés pour passer à l’acte, attaquent des migrants, ou des militants révolutionnaires.

Au Brésil, l’élection de Bolsonaro à la présidence, ouvertement nostalgique de la dictature militaire, est venue sanctionner quatorze années de pouvoir du Parti des travailleurs. Et on pourrait citer nombre de pouvoirs autoritaires, flattant le nationalisme, s’appuyant sur la religion, hostiles aux migrants que ce soit celui de Trump aux USA, de Poutine en Russie, d’Erdogan en Turquie, et bien d’autres…

Ces évolutions politiques réactionnaires se manifestent aussi à la tête des Etats dirigés par des partis qui se prétendent « progressistes » et « démocrates », mais qui durcissent leur arsenal de lois sécuritaires, qui ferment les frontières et mènent des politiques contre les migrants, et flattent eux-aussi le nationalisme, comme vient de le faire Blanquer en France, avec cet article de loi imposant les drapeaux tricolores et européens dans chaque salle de classe du pays.

Tout le vieux fatras des préjugés réactionnaires… tous les préjugés hérités des heures les plus obscures de l’histoire humaine sont véhiculés maintenant par les moyens les plus modernes. Les paroles des papes, imams, rabins et cie sont diffusées par les satellites et les réseaux sociaux… Le complotisme qui prétend qu’une poignée d’individus contrôlerait le monde est diffusé sur internet qui met en relation des milliards d’êtres humains. Le racisme prospère au moment où l’humanité n’a jamais été aussi mélangée, métissée, où chacun peut s’enrichir facilement des cultures du monde entier.

Et y compris dans les rangs de la gauche, notamment de la France Insoumise, on se réclame de la nation, comme le faisait déjà il y a quelques décennies le PCF, en chantant la Marseillaise à la place de l’Internationale, en vantant le protectionnisme, c’est-à-dire un repli derrière les frontières, une prétendue protection que prodiguerait l’Etat national.

Ces préjugés réactionnaires pèsent sur les classes populaires. Une fraction y est sensible, se laisse emporter par la démagogie des souverainistes, de l’extrême droite et des populistes, par les phrases sur « le peuple français » et le sentiment d’unité au nom du tricolore. Contre ces confusions qui divisent, paralysent, freinent les luttes et l’organisation, il s’agit de mener la lutte, du point de vue des intérêts de tous les travailleurs, quelques soient leurs origines, leurs couleurs, leurs religions… On le vit dans le mouvement des Gilets jaunes, comme tous les jours autour de nous au boulot, dans les syndicats, dans nos quartiers.

Nous voulons discuter de cette montée de l’extrême droite, de courants conservateurs et nationalistes, qui est le produit de la crise du capitalisme et de la faillite des partis issus du mouvement ouvriers, intégrés depuis longtemps au système, recul aussi des syndicats qui se sont intégrés par la politique du dialogue social, alors même que le mouvement révolutionnaire, lui, est bien en peine d’offrir une perspective crédible. Cette situation est lourde de menace, de danger, permettant à ces courants réactionnaires de développer leur influence dangereuse au sein d’une fraction du monde du travail.

Dans la première partie, on discutera de quelques situations concrètes, au Brésil, en Hongrie, en Italie, et de quelques traits qu’on retrouve souvent dans ces forces politiques, comme le rôle du chef, l’exaltation de l’ordre, le nationalisme, le populisme, la référence à une « identité » historique, souvent religieuse. On verra aussi comment les progrès de ces partis sont le produit des évolutions du capitalisme mondialisé arrivé au stade d’une crise globale.

Dans la seconde partie, on discutera de la réalité ou pas d’un danger fasciste aujourd’hui et des questions qui se discutent avec notamment les courants antifascistes. On discutera aussi du RN, de son programme et de son évolution. Et on veut terminer par l’articulation entre notre combat politique général et la lutte contre l’extrême droite, c’est-à-dire quelle politique pour aider les travailleurs et la jeunesse à construire leur organisation pour des perspectives internationalistes, pour un monde débarrassé du racisme, des frontières et de l’exploitation capitaliste…

* * * * *

Face à la montée des dangers de l’extrême droite, nombre de politiciens comme Macron posent en rempart contre la menace… Et ils ont beau jeu de faire référence aux citations les plus haineuses et infectes des leaders d’extrême droite, pour se présenter comme le seul recours réaliste.

Quand Orban étale ouvertement sa xénophobie « Nous devons défendre notre identité hongroise, notre héritage chrétien. » refusant de voir la couleur des Hongrois « mélangée à celle des autres »… Quand Bolsonaro déclare que « l’erreur de la dictature a été de torturer et de ne pas tuer »… Quand Le Pen brandit sa nouvelle campagne « migrants contre retraités » en répétant dans tous ses meetings qu’un « migrant fraîchement débarqué touche davantage qu’un retraité modeste qui a travaillé et cotisé toute sa vie »… ces provocations, mensonges, intox ont une fonction politique : essayer de sidérer et tétaniser ceux que ces provocations révoltent ; et en face, blinder et rassembler ceux qui sont sensibles à cette démagogie.

Mais ce n’est pas de ces discours que vient la force de l’extrême droite. La gravité du danger qu’elle représente ne se mesure pas à la violence et à la bêtise crasse de ses paroles, mais à la situation politique qui fait qu’à un moment, ces discours entrent en résonnance avec des milliers ou des millions de personnes qui trouvent leurs préjugés encouragés, qui se laissent duper par le faux radicalisme, l’impression d’entendre un discours en rupture avec le système, avec les notables, les partis installés.

C’est par exemple ce qui s’est passé au Brésil.

Bolsonaro, après une carrière de petit militaire, de soldat à capitaine, est devenu député en 1990, un électron libre soutenant le plus souvent les partis de droite. Cette figure isolée et sans grande influence a gagné et conservé sa place pendant près de trente ans, à coup de discours provoquants, misogynes, homophobes, racistes, anticommunistes et se réclamant de la dictature militaire au pouvoir entre 1964 et 1985.

Sa chance est que sa trajectoire a croisé une crise politique majeure : la déception provoquée par le pouvoir du PT, le gouvernement de Lula d’abord (2002 à 2011), puis celui de Dilma Roussef (2011 à 2016).

Le pays avait connu une décennie de forte croissance économique (+3,5% par an en moyenne entre 2003 et 2013). Les chiffres officiels annoncent que 40 millions de personnes seraient sorties de la pauvreté entre 2000 et 2010. Mais la crise de 2008 a touché aussi ce pays et à partir de 2010, la croissance s’est effondrée, y compris avec des années de récession brutale en 2015 et 2016 (-3,8 et -3,6%), provoquant une explosion immédiate du chômage qui a doublé en trois ans, et une augmentation tout aussi brutale des inégalités déjà très fortes au Brésil.

La crise économique s’est doublée d’une crise politique autour de scandales avec l’entreprise majeure du capitalisme brésilien, la compagnie pétrolière Petrobras, 8ème multinationale au monde. La Petrobras a largement arrosé les partis au pouvoir, de droite et de gauche, en échange de marchés publics surfacturés.

En 2016, Michel Temer, vieux politicien de la droite libérale, succède à Dilma Roussef à la présidence, après sa destitution pour corruption. Lui-même, emporté par les scandales, ne se présentera même pas à la présidentielle de 2018, tandis que Lula était empêché d’être candidat, renvoyé en prison par les juges. Temer vient à son tour d’être arrêté par la même action en justice du Lava Jato (lavage express).

Les discours anti-corruption porté par les populistes entrent en phase avec la colère légitime des classes populaires écœurées par les profiteurs qui leur ont imposé l’austérité.

Le troisième couteau Bolsonaro, soutenu par défaut par les industriels et les grands propriétaires terriens, a eu beau jeu de faire campagne contre le système, la corruption, l’insécurité et la nostalgie de l’ordre qui régnait sous la dictature. Tout s’était mis en place pour qu’il n’ait plus qu’à cueillir le mécontentement. Il y a eu plus de 20% d’abstention et plus de 10 millions de votes blancs ou nuls sur 115 millions : près d’un tiers du corps électoral qui a refusé de choisir.

Pour se promouvoir, Bolsonaro a posé au chef qui incarne un ordre autoritaire, une vieille recette des partis d’extrême droite et/ou populistes.

Mais son arrivée au pouvoir montre bien que ce sont les situations qui font le chef… et pas l’inverse.

Parfois, ceux qui veulent combattre l’extrême droite se laissent impressionner par la démagogie, les coups de gueule et de menton, les talents de tribun, le soi-disant charisme… Mais les chefs de l’extrême droite ne deviennent dangereux pour les classes populaires que quand ils incarnent un besoin, une réponse à une situation politique.

Trotsky écrivait pour répondre à ceux qui ne comprenaient pas comment Hitler avait pu arriver au pouvoir que « Le roi n’est roi que parce qu’au travers de sa personne se réfractent les intérêts et les préjugés de millions d’hommes. » (Qu’est-ce que le national-socialisme ? - juin 1933). Et il poursuivait en écrivant que « le chef est toujours un rapport entre les hommes, une offre individuelle en réponse à une demande collective. »

Les préjugés de millions d’hommes peuvent leur faire croire qu’un chef autoritaire pourrait être une réponse au fait que personne ne dirige ce système, que personne ne dirige les lois du marché.

Ils peuvent leur faire croire qu’un ordre plus brutal pourrait être une réponse aux désordres tout aussi brutaux des multiples crises qui les frappent : économique, écologique, politique, guerre, terrorisme, etc.

La posture du chef et les discours sur l’ordre trouvent alors l’oreille de ceux qui étaient habitués à une certaine stabilité, à un système qui leur avait fait une place acceptable, et qui se retrouvent frappés par le recul social. La moyenne et la petite bourgeoisie, voire des couches supérieures de la classe ouvrière, touchées par le déclassement et la misère, frappées par le chômage ou la ruine, l’absence d’avenir pour leurs enfants, peuvent se faire tromper par l’extrême droite prétendant mettre en œuvre des mesures autoritaires face aux dégâts provoqués par le capitalisme.

Et ces illusions peuvent avoir d’autant plus de prises que la faiblesse du mouvement révolutionnaire empêche de faire entendre que des mesures autoritaires contre le capital ne pourraient venir que d’un pouvoir démocratique des travailleurs.

Au Brésil, le Parti des Travailleurs de Lula a incarné l’espoir d’un changement par les urnes, avec le soutien d’une large partie des classes populaires. Et aussi d’une partie de l’extrême-gauche, forte dans ce pays, mais qui a été suiviste et incapable de proposer une perspective de classe, indépendante. En plus de la corruption, le PT est apparu comme un bon gestionnaire du capitalisme brésilien, imposant des mesures d’austérité. Ce sont aussi ces désillusions qui ont alimenté la crise politique dont a profité Bolsonaro.

Les classes populaires brésiliennes, loin d’être brisées par la victoire électorale de Bolsonaro, vont mesurer très vite que le grand chef et l’ordre rétablis… vont se traduire par des mesures brutales contre les travailleurs, à commencer par les plus pauvres, les femmes (politique de la famille, annonces contre l’avortement), ceux qui n’ont pas la bonne couleur (annonce de la fin de certains quotas de discrimination positive)… Une des premières mesures du gouvernement Bolsonaro, sous l’influence notamment de son principal ministre libéral (Paulo Guedes, ex Chicago Boys) est un projet de réforme des retraites pour économiser 275 milliards d’euros en 10 ans… du même genre que ceux qu’on nous impose, avec recul de l’âge de la retraite à 65 ans, mise en place de fonds de pension, etc. Face à cette brutalité, des premiers éléments de crise politique commencent à se manifester.

En Hongrie aussi, la droite extrême est arrivée au pouvoir.

Le parti de Viktor Orban, le Fidesz (Alliance des jeunes démocrates – Parti civique hongrois) est au pouvoir depuis 2010. Il était membre jusqu’à maintenant du Parti Populaire Européen, avec la CDU d’Angela Merkel, LR, le PP espagnol. Pour faire face à un début de crise politique, Orban a repris à son compte les recettes de l’extrême droite, flattant le nationalisme et le racisme pour asseoir sa popularité. Il a durci son discours et sa politique, adoptant une série de lois conservatrices et réactionnaires, contre les libertés démocratiques et contre l’immigration. Ses discours contre l’Europe, les lois protectionnistes avec taxes sur les entreprises étrangères implantées en Hongrie qu’il a adoptées font qu’il vient d’être suspendu du PPE, un des piliers de l’UE et du libre-échange.

Orban s’en moque, son parti rejoindra si besoin un groupe plus conservateur au parlement européen. Et il multiplie les déclarations racistes, notamment contre les migrants, contre les musulmans, au nom du danger de la prétendue « submersion ». Comme tous les démagogues de son espèce, il flatte les préjugés pour diviser… Il désigne à la vindicte populaire des boucs émissaires, les plus faibles. Et il trouve une prise parmi une fraction de la population du fait des inquiétudes, des peurs qui naissent de la régression sociale, essayant ainsi d’échapper au discrédit qui commence à la frapper après presque dix ans de pouvoir au service des classes dominantes.

La situation en Hongrie témoigne bien de la crise qui a frappé la plupart des pays de l’Est, l’ex-bloc autour de l’URSS, qui connaissent tous une montée de la droite extrême et de l’extrême droite. Ces pays ont connu entre 1990 et 2010 deux décennies de transformations économiques brutales après l’effondrement de l’URSS. Ils ont intégré le marché européen et mondial. Les multinationales se sont implantées pour profiter des infrastructures et de la main d’œuvre à bon marché et racheter des pans entiers de l’économie de ces pays.

Toutes les promesses de l’euphorie post-89 ont été tenues : la mise en place de la démocratie libérale, de l’économie de marché et l’intégration à l’UE. La seule promesse non tenue est que la prospérité promise n’est pas arrivée. Bien au contraire, ces sociétés sont en crise, avec un accroissement des inégalités, et une comparaison insupportable avec le niveau de vie de l’Europe de l’Ouest. C’est sur terreau là qu’ont progressé les discours sur l’identité nationale et religieuse, la souveraineté, l’anti-modernité, le nationalisme, le racisme etc.

Le nationalisme est lui-aussi un trait commun des forces d’extrême droite et des populismes.

En construisant une mythologie nationale, qui prétend faire référence à l’histoire, mais qui est un passé réécrit et idéalisé, les démagogues recréent une religion d’Etat, avec la même fonction : construire des liens pour se consoler du quotidien. La nostalgie du passé pour répondre à la peur de l’avenir.

Cette démagogie est d’ailleurs utilisée par tous les partis bourgeois pour asseoir leur domination… On trouve simplement entre eux une différence de degré dans leur patriotisme, leur excitation chauvine, leur agressivité contre l’étranger.

Le nationalisme reprend aussi une nouvelle vigueur sous les traits plus adoucis du protectionnisme et du souverainisme qui sont présentés comme une réponse aux dégâts de la mondialisation et de l’ouverture des frontières. Orban a été un des premiers à oser des mesures protectionnistes dans le cadre de l’UE, comme des taxes sur le chiffre d’affaire réalisé en Hongrie par des entreprises étrangères. Les partis souverainistes veulent faire croire qu’il pourrait y avoir une « protection nationale », comme substitut de la « protection sociale » qui était l’acquis des luttes des travailleurs et qui a été méthodiquement cassé par tous les gouvernements depuis trente ans.

Mais il ne peut pas y avoir de « protection nationale » dans le cadre du marché mondial. Les lois du marché s’appliquent quand même. Le taux de profit attendu sur le capital investi par les financiers reste le même. Alors la fermeture des frontières avec des taxes pour les marchandises de consommation et l’interdiction de circuler pour les travailleurs… se traduit par un dumping social intérieur pour rendre la production compétitive vers l’extérieur. La loi dénoncée comme « esclavagiste » promulguée par Orban en décembre 2018 en est un exemple, faisant passer le nombre d’heures sup non refusables de 250 à 400 par an, mais payables jusqu’à trois ans après. Ce qui a provoqué des mobilisations du monde du travail et de la jeunesse.

Plus la société se désagrège, plus le besoin d’unité, de sécurité se reporte sur l’imaginaire de l’identité, de la nation… et de son bras armé qu’est l’Etat. Les discours identitaires prétendent répondre à la peur du déclin.

Mais face aux mécanismes implacables du capitalisme, la démagogie nationaliste n’est qu’une drogue dont il faudrait des doses toujours plus fortes. Du protectionnisme au chauvinisme, du chauvinisme au nationalisme agressif, la xénophobie, le racisme.

Le parti d’Orban en Hongrie en fait l’expérience. Après presque dix ans de pouvoir, il a bien du mal à cacher qu’il a servi les lois du marché, l’exploitation des multinationales, notamment les constructeurs automobiles allemands qu’il a largement subventionnés, la propriété privée des riches. La démagogie nationaliste de ces courants politiques entre d’ailleurs en contradiction avec les exigences des bourgeoisies, provoquant de nouvelles situations de crises politiques quand ces partis arrivent au pouvoir. C’est ce que subit Orban, alternant mesures flattant le nationalisme, et mesures en faveur du grand capital des multinationales étrangères.

Et depuis plusieurs années, Orban trouve plus démagogue que lui. Le Jobbik (Alliance des jeunes de droite - Mouvement pour une meilleure Hongrie) s’est fondé entre 1999 et 2003, sur des bases plus nationalistes encore que le Fiddesz, puis il s’est doté d’un groupe para-militaire, La Garde hongroise. Après quelques succès électoraux, jusqu’à 20% des voix aux législatives de 2014, le Jobbik a commencé à vouloir se dédiaboliser pour accéder au pouvoir. Ce qui lui a valu à son tour, une rupture sur sa droite en 2017 avec la création du parti Force et détermination, puis en 2018, avec la naissance du MHM (Mouvement notre patrie).

La fuite en avant réactionnaire peut être sans limite, tant que le monde du travail et la jeunesse n’y mettront pas un terme.

L’Italie connait aussi une situation inquiétante.

Depuis juin 2018, le gouvernement de Giuseppe Conte repose sur l’alliance inédite entre la Lega, de Matteo Salvini ou Ligue, ex-Ligue du Nord, parti ouvertement d’extrême droite, et le M5S, de Luigi di Maio, le Mouvement Cinq Etoiles, attrape-tout, populiste. Pendant presque trois mois après les élections de mars, une crise politique a empêché de constituer un gouvernement… et les deux partis se sont dévoués pour sortir le pays de la crise, en constituant une alliance qu’ils qualifient d’« antisystème », « un gouvernement pour le changement ».

L’alliance peut paraitre d’autant plus surprenante que le M5S a donné l’illusion pendant quelques années d’être un parti progressiste, quand il était un des plus vigoureux opposant à Berlusconi notamment. Il avait été fondé en 2009 par un humoriste, Beppe Grillo, et un chef d’entreprise dans le secteur de l’informatique, qui depuis des années animaient ensemble un blog de critique politique et sociale. Le M5S rejette toute idéologie et l’opposition entre la gauche et la droite. Il se présente comme un « non parti », avec des « non statuts » et un « non chef »… La seule perspective qu’il défend est celle de la démocratie participative directe, comme réponse à tous les problèmes. Il est à la fois favorable aux droits LGBT, mais hostiles aux migrants, pour la fermeture des frontières.

Il enregistre ses premiers succès électoraux en 2012 (mairie de Parme) et surtout en 2013 avec environ 25% des voix et 163 parlementaires. Il devient le 1er parti d’Italie dès sa première participation à un scrutin national. Le groupe est très féminisé, très jeune… et il compte dans ses rangs des personnalités antisémites ou même nostalgiques du fascisme italien comme la présidente du groupe, Roberta Lombardi, qui admirait son « sens très élevé de l’Etat et de la protection de la famille ». En 2014, au Parlement européen, les députés M5S rejoignent le groupe ELDD avec le UKIP britannique, nationaliste, anti-musulman et favorable au Brexit. Par la suite, le M5S a connu plusieurs crises de pouvoir interne, avec l’arrivé à sa tête de Luigi Di Maio, et des revirements à 180° notamment sur la question de l’Europe.

Le populisme du M5S

Depuis sa fondation, le M5S est qualifié de « populiste ». C’est un terme qui est abondamment utilisé dans les médias et par les partis de gouvernement pour essayer de disqualifier leurs concurrents… et qui prétend désigner des partis qui écouteraient le peuple, ce qui ne veut pas dire grand-chose. C’est assez amusant d’ailleurs de voir qu’un qualificatif faisant référence au peuple soit considéré comme péjoratif.

Le terme de populiste peut être source de confusion. D’abord parce qu’il fait référence à d’autres courants politiques dans d’autres périodes. Ensuite parce qu’il est utilisé pour désigner en France aussi bien le RN que la FI, et il serait absurde de les mettre sur le même plan, de considérer que leurs politiques et leurs militants se rejoignent.

Mais le fait qu’en Italie, ce terme qualifie la Lega et le M5S… et que ces deux partis aient trouvé un terrain d’entente pour gouverner ensemble montre quand même qu’il y a un terrain commun, et c’est souligné par Chantal Mouffe et Ernesto Laclau deux militants belge et argentin de gauche, qui ont fait une théorie du populisme.

Chantal Mouffe théorise que depuis 2008, il y aurait un « moment populiste » qu’il faudrait saisir, produit par la crise financière, et elle « appelle ceux d’en bas à se mobiliser contre ceux qui sont au pouvoir ». Cela peut paraitre radical… mais c’est sans aucun programme, sans aucune référence à la classe ouvrière et à ses luttes, et la perspective qu’elle avance est celle de rendre l’Etat plus démocratique... en s’y intégrant.

On retrouve ce rapport très respectueux de l’Etat dans les discours grandiloquents de Mélenchon sur la République, quand il ne prétend pas l’incarner à lui tout seul… La FI porte d’ailleurs comme seule perspective de modifier la Constitution, sans poser le problème que l’Etat et la République ne sont pas neutres, qu’ils sont les instruments de la classe dominante, forgés pour défendre la propriété privée.

Chantal Mouffe souligne que tous les partis populistes ont un point commun, qu’ils soient de droite, d’extrême droite ou de gauche : « tous les populismes visent à fédérer des demandes insatisfaites ». Elle est de gauche, et défend que le populisme de gauche doit apporter des réponses progressistes aux problèmes posés par les populistes nationalistes. Cela ressemble beaucoup à cette phrase de Fabius, 1er ministre PS en 1984, qui avait dit que « le FN pose de bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses ».

Dans le raisonnement de Mouffe, dont se réclament par ailleurs une partie des dirigeants de Podemos en Espagne, de la FI en France, de Syrisa en Grèce, du Bloco de Esquerda au Portugal, on voit bien le pont qui permet au M5S et à la Lega de gouverner ensemble.

Leur point commun est de mettre en avant une opposition entre le peuple et les élites… mais simplement pour montrer que le peuple majoritaire pourrait rendre l’Etat plus démocratique et proposer des lois qui diminueraient les injustices contre la minorité des élites. Mais cette politique qui se dit elle-même « post-marxiste » dissimule les vrais rapports de la lutte des classes : la lutte entre la classe ouvrière qui produit les richesses par son travail et la bourgeoisie qui possède le capital et s’approprie le profit. Que devient la lutte contre les rapports d’exploitation et contre l’Etat qui en est l’instrument ? Les populistes ont en commun de chercher à la nier, à l’empêcher.

Les « populistes » ont en commun de critiquer la démocratie, le pouvoir politique, les médias, les élites, et parfois certains capitalistes en particulier. Ils prétendent contester le système tout en voulant le conserver. Ils se proposent seulement de mieux le diriger et de l’améliorer. Mais ils ne remettent pas en question l’Etat lui-même, et encore moins le capitalisme.

Le produit des évolutions du capitalisme

Si les partis « antisystème » l’étaient vraiment… ils attaqueraient les problèmes à la racine. C’est bien le système économique qui est la cause du recul social et des crises, y compris des crises politiques qui produisent un peu partout dans le monde la progression des forces politiques de plus en plus réactionnaires.

Le capitalisme est arrivé dans une nouvelle phase de développement où pour tirer du profit, il durcit l’exploitation du travail, met en concurrence les travailleurs du monde entier, casse les acquis sociaux, dispute les matières premières et les marchés par des conflits armés, épuise les ressources naturelles. David Harvey, un marxiste britannique, le décrit comme une « accumulation par dépossession ».

Qu’est-ce que ça change par rapport aux périodes précédentes ? Ce nouveau développement aggrave les contradictions du capitalisme.

Il concentre les richesses entre quelques mains alors qu’elles sont produites par la coopération de millions d’humains à l’échelle du monde maintenus dans la misère et dépossédés.

Il voudrait produire sans limite alors qu’il limite la consommation en nous appauvrissant.

Il favorise les échanges internationaux en restant contraint par le cadre des Etats nationaux et de la propriété privée.

Cette exacerbation des contradictions provoque des évolutions de la lutte de classes.

D’un côté, cette brutalité de l’exploitation entraine une évolution autoritaire des Etats pour imposer les reculs sociaux. Les lois anti-terroristes comme le Patriot Act aux USA, et les très nombreuses lois en France, ont notoirement servi à fliquer les classes populaires et les militants. Et il n’y a pas eu besoin d’attendre l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite pour voir se développer les politiques sécuritaires, lois anticasseurs, surveillance vidéo et électronique, durcissement des peines, etc. Et même l’armée mobilisée le 23 mars pour protéger les bâtiments publics contre les Gilets jaunes.

Avec ce durcissement de l’exploitation et le recul des droits démocratiques, ce sont aussi les droits des étrangers, des migrants qui sont de plus en plus attaqués. Et il n’y a pas eu besoin que Le Pen arrive au pouvoir pour ça. Le Conseil constitutionnel vient d’autoriser le 21 mars les tests osseux pour déterminer l’âge des mineurs étrangers, afin de permettre à la justice de les expulser… en toute légalité.

* * * * *

Le contexte mondial de montée des idées réactionnaires abordé dans la première partie est bien sûr lourd de dangers pour le monde du travail et les peuples, mais encore faut-il analyser et définir quels sont ces dangers pour formuler et adapter notre stratégie pour les combattre.

En France, si le RN de Marine Le Pen n’est pas encore au pouvoir, son évolution l’a conduit à s’en rapprocher et l’accession de l’extrême-droite aux affaires au plus haut niveau est devenue une perspective crédible, possible. Deux fois depuis 2002, le FN est arrivé au deuxième tour de la présidentielle (avec 10 millions de voix au second tour de de la présidentielle de 2017). Depuis 2013, l’offensive réactionnaire s’est renforcée depuis la mobilisation massive de la manif pour tous et dans ce climat la mort dramatique de Clément Méric. Les idées qui constituent le fonds de commerce de l’extrême-droite, le nationalisme, le chauvinisme, la xénophobie et les racismes de toutes sortes (antisémitisme, homophobie, sexisme…) progressent et exercent leur pression sur toute la société.

Elles sont la conséquence de l’évolution du capitalisme mondialisé financiarisé, de la crise sociale et politique qu’il engendre et de la faillite et l’effondrement des partis du mouvement ouvrier, sociaux-démocrates et staliniens, qui leur ont laissé le terrain. C’est à partir de cette analyse que nous fondons notre réponse, notre stratégie : œuvrer à la renaissance du mouvement ouvrier, démocratique et révolutionnaire, dans la perspective de renverser le capitalisme pourrissant et de balayer tout son fatras obscurantiste et réactionnaire.

Lutter contre les forces réactionnaires et l’extrême-droite est une lutte globale contre la régression sociale et politique. Cette lutte comporte des aspects spécifiques et multiples comme s’opposer au pouvoir de nuisance du RN, aux agressions des groupuscules fascisants ou néo-nazis, combattre l’influence des forces religieuses, quelles qu’elles soient… mais nous ne les concevons pas comme des terrains séparés, selon nos sensibilités. Nous les inscrivons dans la lutte globale, dans la stratégie d'ensemble du mouvement ouvrier pour son émancipation et celle de toute la société.

Dans cette deuxième partie, nous voulons discuter des questions qui se posent à nous, militants révolutionnaires du mouvement ouvrier, au sein de notre parti comme avec tous les militants et travailleurs avec lesquels nous discutons et militons, pour formuler notre stratégie et nos tâches :

  • Y a-t-il aujourd’hui en France et en Europe un danger fasciste qui justifie une intervention spécifique antifasciste ?
  • Le RN est-il un parti différent des autres ? Que veut-il, quel est son programme et quel danger représente-t-il ?
  • Comment concrètement et pratiquement agir aujourd'hui ? Comment combiner notre stratégie pour la prise du pouvoir, notre orientation globale et les questions tactiques, la lutte contre l’extrême droite, la montée réactionnaire ?

Le danger fasciste, une réalité ?

Y a-t-il danger de fascisme aujourd’hui, comme certains le pensent dans le mouvement antifa et aussi dans notre parti ? Le mouvement antifa, qui n’est pas forcément homogène, voit dans l’extrême-droite et ses satellites groupusculaires néo-nazis, comme dans la montée des populismes en Europe, le retour du fascisme et agite le danger du RN en particulier, parce qu’il serait un parti de nature fasciste, sans d’ailleurs bien pouvoir définir cette « nature fasciste ». Certains voient le retour du fascisme des années 30, en faisant l’analogie entre l’époque historique de l’entre-deux-guerres et la période que nous vivons, de montée de l’extrême-droite et des droites extrêmes et populistes. Le dernier livre d’Ugo Palheta, plus prudent, évoque aussi « la possibilité du fascisme ». Il nous explique qu’il y a danger fasciste parce que les forces politiques d’extrême-droite et populistes mènent une bataille pour l’hégémonie, c’est-à-dire pour imposer leur idéologie et leur vision du monde à toute la société, jusqu’à la prise du pouvoir. Il nous dit que comme ces forces progressent, qu’elles ont accédé au pouvoir dans plusieurs pays d’Europe… cela confirme bien la progression hégémonique donc… le danger fasciste. Bien sûr, Palheta dit que dans la période actuelle, le fascisme n’a pas la même apparence que celui des années 30, on peut difficilement nier les évidences. Pour les antifa, le fascisme est invoqué comme un combat moral du bien contre le mal, sans discuter des caractéristiques de la nouvelle période du capitalisme, des nouveaux rapports de classe, de ce qui a changé depuis les années 30 et qui fait que le fascisme appartient à l’histoire révolue. Les analyses de Trotsky sur la montée du fascisme dans l’entre-deux-guerres sont érigées en dogmes. C’est une vision qui reste prisonnière de formules toute-faites ou de catégories idéologiques comme « l’hégémonie », qui s’imposeraient aux rapports de classes réels. Palheta nous parle de la « possibilité du fascisme », sans revenir sur cette période, le décrire dans le contexte qui a été celui des années 30, dans la réalité des rapports de classe de l’époque pour comprendre ce qui a changé, les rapports de classes dans lesquels nous intervenons et nous luttons aujourd’hui.

Pour discuter de la montée de l’extrême droite, il est nécessaire de se débarrasser des visions morales, des fantômes du passé, des peurs héritées des monstruosités du 20ème siècle, de tout ce qui obscurcit la vue et empêche de voir la nouvelle situation telle qu’elle est.

Y a-t-il danger fasciste aujourd’hui ? Nous ne sommes pas dans la même situation que celle de l’entre-deux-guerres. Si l’évolution du capitalisme mondialisé engendre aujourd’hui une montée du militarisme et des tensions internationales, nous ne sommes pas à la veille d’une 3ème guerre mondiale, répétition des guerres du XXème siècle.

Le fascisme a répondu aux besoins de la bourgeoisie des années 30, confrontée à la fois à la crise du capitalisme et à un mouvement ouvrier en Europe puissant, organisé, qui imposait un rapport de force qui menaçait son pouvoir (après l’avoir pris en Russie en 1917). En Allemagne, où la crise était la plus aigüe, la bourgeoisie n’avait d’autre choix que d’écraser le mouvement ouvrier pour mettre le pays en ordre de bataille pour la marche à la guerre. Les partis fascistes, en enrôlant la petite-bourgeoise ruinée, déclassée, contre le mouvement ouvrier ont joué ce rôle. Notre monde n’est plus celui-là. La division du monde en Etats impérialistes rivaux a laissé la place à la domination des multinationales, au recul du rôle des Etats dans la défense d’intérêts proprement nationaux. Les conflits de demain (et d’aujourd’hui), dans notre monde multipolaire, multi concurrentiel, ne peuvent se répéter de la même façon, sous les mêmes formes, et vouloir répéter des formules toutes faites sur le fascisme sème la confusion, désarme, empêche la réflexion et l’élaboration d’une politique qui réponde aux besoins du moment.

Cela ne veut pas dire que les Etats au service des classes dominantes n’essaieront pas de réprimer violemment les mouvements sociaux, mais aujourd’hui, l’appareil d’Etat de la bourgeoisie suffit à les contenir et à les réprimer sans avoir besoin de forces supplétives, de partis militarisés comme les milices fascistes ont joué ce rôle dans les années 30. Il n'y a aujourd'hui aucune force politique qui prétend supprimer la démocratie bourgeoise parlementaire, pas même Marine Le Pen, briser les syndicats ouvriers en instaurant des milices. Cela ne veut pas dire que les forces réactionnaires ne représentent pas une menace mais faut-il encore comprendre quelle est cette menace.

Pour cela, il faut discuter et comprendre la situation concrète.

De ce point de vue, l’extrême-gauche dans son ensemble a du retard et a certainement manqué des occasions. Prisonnière de son histoire, qui la fait se penser en éternelle opposante, elle n’a pas su ou pu développer son influence, apporter des réponses, des perspectives pour le mouvement ouvrier dans le contexte de l’effondrement des partis sociaux-démocrates et staliniens, alors que la situation au lendemain de 1995 était favorable. L’occasion manquée de la construction d’un parti des travailleurs autour du regroupement des révolutionnaires, a conduit à 2002, à l’avertissement du 21 avril, avec Le Pen au second tour de la Présidentielle. Le terrain laissé libre à l’extrême-droite n’a pas cessé depuis de progresser, le FN exerçant sa pression, déportant à droite la classe politique et l’ensemble de la société. Il ne s'agit pas de refaire l'histoire mais on ne peut pas occulter la discussion sur nos responsabilités, l’ensemble de l’extrême-gauche, d’autant plus en invoquant les conditions objectives, le recul de la classe ouvrière...

Quelle perspective formuler face à cette progression qui a amené l’ex-FN aux portes du pouvoir ?

Formuler une réponse, tracer une perspective, nécessite de considérer les choses en prenant le mal à la racine, c'est-à-dire de définir les causes et les mécanismes à l’œuvre qui permettent à l’extrême-droite de se renforcer et qui pourrait demain conduire la bourgeoisie à faire le choix du RN au pouvoir, ou d’un autre parti tout aussi réactionnaire et populiste qui pourrait surgir très rapidement comme celui de Bolsonaro au Brésil ou le M5S en Italie. Les basculements peuvent aller très vite, si la crise sociale et politique s’aggrave et que le mouvement ouvrier relève la tête et lutte pour ses intérêts.

Face à la régression sociale, à la précarisation générale des salariés et de la jeunesse, au chômage qui sont le terreau sur lequel prospèrent les forces réactionnaires, populistes et l’extrême-droite, nous devons affirmer par nos luttes les intérêts de notre camp social, contester le capitalisme, l’exploitation, et les institutions à son service. C’est en faisant avancer la solidarité des opprimés, l’internationalisme de notre classe, les idées de l’émancipation que nous ferons reculer l’extrême-droite.

C’est une perspective qui peut sembler lointaine, ce qui nous est parfois reproché. Mais fixer une perspective, définir une stratégie pour notre classe, pour le mouvement ouvrier doit bien sûr s’articuler à la tactique, à notre intervention au quotidien, par exemple, quelle politique face à l’arrivée au pouvoir du FN dans une municipalité, ou face aux groupuscules d’extrême-droite ou fascisants, aux provocations ou agressions de l’extrême-droite ; comment concevoir notre auto-défense.

Le RN, un parti pas comme les autres ?

Pour beaucoup d’antifas et dans la classe politique en général, le RN ne serait pas un parti comme les autres. Il y aurait une ligne de démarcation avec les autres partis : les partis républicains… et le RN, qui se prétend hors système. C’est ces raisonnements qui ont conduit au vote Chirac de 2002, et à tous les fronts républicains, qui essaient de faire croire aux classes populaires que, tous partis confondus, nos intérêts sont communs face au RN. C’est sur ce vote « républicain » à 80 %, que Chirac a pu s’appuyer pour mener sa politique antisociale contre les salariés et les classes populaires. Si dans le courant antifasciste de l’extrême-gauche certains dénoncent le front républicain comme une duperie et ne sont pas dupes de la démagogie du discours anti-système de Marine Le Pen, ils restent prisonniers de leur surévaluation du danger fasciste et de la priorité qu’ils donnent au combat contre les groupuscules néo-nazis et le RN.

La ligne de démarcation entre partis républicains et RN est d’autant moins convaincante que la frontière est loin d’être étanche entre la droite-extrême ou conservatrice et l’extrême-droite qui défendent les mêmes idées réactionnaires, xénophobes, sécuritaires, anti-migrants… Marine Le Pen n’hésite d’ailleurs pas à l’occasion à se revendiquer de la république et son projet politique autoritaire et réactionnaire est tout à fait compatible avec les institutions républicaines, qu’elle ne remet pas en cause.

Le RN est un parti dont l’objectif est d’accéder aux affaires et qui n’a plus rien à voir avec le parti de Le Pen-père, le FN, né en 72 de la refondation de l’organisation Ordre nouveau, en ralliant à lui les anciens d’Algérie et le ramassis des nostalgiques de l’époque coloniale. Le FN a été « délepénisé » par Marine Le Pen, « dédiabolisé » à partir du moment où sa progression l’a rapproché de la possibilité du pouvoir.

Il se nourrit de la politique des autres partis qui ont fait son lit. Il a commencé à prospérer grâce aux manœuvres de la gauche mitterrandienne, à sa politique au service de la mondialisation financière contre les travailleurs et les classes populaires, puis connu un nouvel essor grâce à la démagogie de Sarkozy qui l’a renforcé en faisant de la surenchère à ses idées réactionnaires, sécuritaires et anti-migrants, les reprenant à son compte. Sous les années Hollande, il s’est nourri du mécontentement et de la révolte engendrés par la politique de la gauche libérale entièrement soumise au Medef et à l’Europe de la troïka. Il continue à se nourrir de la régression sociale qu’accentue la politique de Macron, qui sert les mêmes intérêts.

Quel est son projet politique ?

Constituer l'axe politique d'un nouveau parti populiste, en rassemblant tous les courants de la droite extrême à l’extrême droite, pour accéder au pouvoir. De ce point de vue, c’est bien un parti comme les autres, avec des cadres politiques qui espèrent des postes, des sinécures et autres avantages... comme ont déjà su en profiter ses élus au parlement européen…

Après l’échec - très relatif - de Marine Le Pen à la présidentielle, ce projet a quelque peu battu de l’aile. Une bataille meurtrière entre les chefs rivaux a abouti au départ de Philippot et à l’éloignement de l’ex-allié Dupont-Aignan… voyant s’éloigner la perspective du pouvoir, sans désaccords politiques de fond entre les uns et les autres. A l’occasion des européennes, quelques anciens sarkozystes idéologiquement compatibles comme Thierry Mariani ou Jean-Paul Garraud (ex-député de Gironde) viennent de rejoindre les rangs du RN.

Mais il est encore loin d’être le parti capable de rassembler toute la droite extrême, le nouveau parti populiste national qui pourrait offrir ses services à la bourgeoisie pour prendre le relais de Macron, et durcir, en fonction des besoins des classes dominantes, la pression contre le monde du travail, les classes populaires et la jeunesse. Un de ses dirigeants disait au lendemain de la présidentielle : « L’objectif, c’est de savoir comment on fait pour passer de 35 % à 50 % des Français ».

Le RN a du mal à s’imposer comme l’opposition parlementaire au gouvernement. LREM lui a coupé l’herbe sous les pieds, en prétendant dépasser les vieux clivages politiques gauche-droite que Marine Le Pen et Philippot cherchaient à impulser, sur leur propre base souverainiste, à travers le mouvement « Bleu marine », la mobilisation de la société civile contre « l’UMPS ». La menace n’en reste pas moins réelle et concrète, si la crise politique s’approfondit et devient plus aigüe.

Quel est le programme du RN ?

Comme tous les partis populistes, son programme varie au gré de son opportunisme sur la voie du pouvoir. Il espère utiliser la faillite de l 'Europe capitaliste et des partis qui l'ont mise en place et l’épisode du Brexit lui a été favorable. Mais pour le moment la bourgeoisie reste favorable à l’Europe et le RN s’adapte, ne parle plus ouvertement du retour au franc et de rompre avec l'Europe. Pour s’adapter aux vœux du patronat, Marine Le Pen a changé sa politique sur l’UE en parlant de l’Europe des nations.

Son programme est fondamentalement au service du grand capital et des multinationales. Si Marine Le Pen s’est voulue le meilleur soutien des gilets jaunes et a fait mine d’être indignée de leurs conditions d’existence dénoncées sur les ronds-points, elle s’est opposée à l’augmentation du SMIC et à toute augmentation des salaires. Si en paroles elle prétend défendre les laissés pour compte de la mondialisation, dénoncer les multinationales et la finance, le programme du RN est compatible avec toutes les réformes libérales des gouvernements qui se sont succédé, des réformes successives des retraites à la réforme de la fonction publique en cours.

En lançant la campagne européenne du RN, Bardella, le jeune poulain tête de liste s’en est pris à ceux « qui ne sont pas élus mais régentent la vie des Français ». Il parlait des commissaires européens, pas des actionnaires des grandes entreprises et des banques !

Quelle que soit la forme que prendront d’éventuelles alliances entre la droite extrême et l’extrême droite populiste, à partir du RN et d’une fraction de la droite traditionnelle, ou pas…, le danger pour notre camp social repose sur leur capacité à exprimer la révolte des classes populaires, en présentant le repli national, le souverainisme comme protection contre les ravages de la mondialisation. Il y a là une réelle menace pour le mouvement ouvrier s’il n’ouvre pas par ses luttes une perspective de classe, internationaliste, de prise du pouvoir pour renverser le capitalisme.

Comment concrètement et pratiquement agir aujourd'hui, comment combiner la lutte contre l’extrême droite et notre orientation générale, combiner stratégie et tactique ?

Cette discussion est concrète. Elle ne peut se mener qu’en lien avec les discussions au sein du mouvement ouvrier et de la jeunesse, face aux situations auxquelles nous sommes concrètement confrontés, en tenant compte des rapports de forces réels.

Dans la lutte contre l'extrême droite nous avons comme dans l'ensemble de notre activité une démarche de front unique. Concrètement et sur des objectifs précis, nous cherchons à unir les forces, à agir dans les cadres unitaires avec d’autres forces politiques, mais sans jamais subordonner notre politique et nos objectifs à ces cadres. C'est-à-dire que nous faisons partout et constamment le lien entre la lutte contre l'extrême droite et celle contre les politiques d'austérité et de régression sociale du gouvernement et du Medef. Les cadres unitaires sont l'occasion d'exercer notre pression politique. Nous ne les considérons pas seulement du point de vue d’une coalition d'organisations qui agissent ensemble à un moment autour d’intérêts communs, mais avant tout comme un moyen d’œuvrer à l'unité des travailleurs. Notre politique s'adresse à eux.

Nous inscrivons la bataille contre l’extrême droite dans le cadre plus général de la construction d'un courant démocratique lutte de classes en lien avec le parti révolutionnaire des luttes que nous voulons construire.

Nos camarades antifas du NPA se fixent comme objectif « de marginaliser l'extrême droite, d’empêcher ses adeptes de nuire, les neutraliser le plus longtemps possible par un travail de vigilance le plus permanent et le plus unitaire possible et aussi de faire la démonstration que le mouvement social est en capacité d’empêcher le pouvoir d’utiliser l’extrême droite ! C’est cette philosophie générale qui doit guider les militant-es du NPA quandils/elles sont confronté-es à l’organisation d’une mobilisation antifasciste. » Il y a, derrière cette volonté quelque peu incantatoire, une réalité que les camarades ne prennent pas en compte : l’influence massive des idées de l’extrême-droite, sur toute la société jusque dans les classes populaires. Le plus grave danger ne vient pas aujourd’hui des troupes que le RN peut aligner, pas toujours très fournies, mais du fait que ses idées progressent sans qu’il ait d’efforts militants à déployer. Ses adversaires politiques se chargent de son renforcement en reprenant ses idées, et il n’a plus qu’à ramasser la mise.

Quelle attitude vis-à-vis des groupuscules fascisants, la question de l’autodéfense

Nous ne minimisons pas les risques que font courir aux militants, aux locaux des organisations, les agressions des groupes identitaires fascisants. Mais notre politique n’est pas d’entrer en combat singulier avec ces groupuscules. Leur agitation marginale ne doit pas capter notre attention et monopoliser nos forces, même s’il ne faut pas les négliger. En règle générale, la guéguerre pour empêcher les apparitions de l’extrême-droite n’est pas notre politique. Cela ne veut pas dire que nous ne nous faisons pas respecter ni craindre. Mais c’est une bataille qui ne peut pas se mener sans l’intervention directe des travailleurs, de la population, de la jeunesse. Elle ne peut être que collective, liée à l'action et aux luttes des travailleurs, à leur activité politique. Organiser une action directe contre l’extrême-droite n’aurait aujourd’hui de sens que si les libertés de notre camp social et de ses organisations, leur apparition politique ou leur liberté d’expression étaient menacées par elle, ou si collectivement les travailleurs décidaient de faire une démonstration de force sur leur propre terrain. Nos méthodes ne sont pas substitutistes. Nous n’agissons pas à la place des travailleurs que nous prétendrions protéger des groupuscules fascisants et de leurs exactions. L’autodéfense n’est pas une question technique mais politique.

L’activisme antifascisme repose en fait sur un manque de confiance dans les capacités des travailleurs, des classes populaires de retrouver le chemin de l'action collective, de la lutte politique. Il correspond à une démarche gauchiste qui prétend agir en lieu et place des travailleurs, des rapports de force, des niveaux de consciences et se détournent des tâches d'organisation du monde du travail, de la jeunesse dans une fuite en avant illusoire. Bien au contraire la construction du parti des travailleurs que nous voulons exige un travail de longue haleine tant théorique, politique que militant pour nous donner les moyens d’intervenir réellement dans la lutte de classe ; elle exige la compréhension des mécanismes sociaux et politiques à l’origine de la montée des extrémismes pour définir les voies et les moyens d'inverser la tendance.

Notre politique vise avant tout à organiser les travailleurs, la jeunesse sur notre propre terrain de classe, à formuler une perspective pour le monde du travail. C’est cette préoccupation qui guide tous nos choix. Non seulement elle n'exclut pas la lutte contre l'extrême-droite mais elle en est la condition même, car il n’y a que la force de notre classe organisée, consciente qui peut faire reculer l’influence de l’extrême-droite.

Lutter contre l'extrême-droite, contre la montée des idées et forces réactionnaires, c’est lutter sur notre terrain de classe pour la démocratie, pour la prise du pouvoir.

Le mouvement ouvrier, la jeunesse, les exploités, n’inverseront le rapport des forces face à la montée de l’extrême-droite et des populismes, aux idées réactionnaires, aux racismes et aux oppressions de tous ordres, religieuses, anti-immigrés, homophobes, sexistes… qu’en apportant leurs propres réponses à la crise, dans la perspective de prendre le contrôle de l’économie et de toute la société. Cela veut dire aujourd’hui préparer l'affrontement avec le gouvernement et le patronat dans l'objectif de renverser le rapport de force pour nos droits, nos revendications, pour une Europe des travailleurs et des peuples.

Avec pour seule méthode, une révolution démocratique, l'intervention directe des travailleuses, travailleurs et de la jeunesse sur le terrain social et politique. Une démocratie qui ne s'arrête pas à la porte des entreprises, mais qui permette aux classes populaires de décider et de contrôler tout ce qui concerne leur existence.

Les mesures d’urgence nécessaires et la démocratie directe des masses pour les imposer ne peuvent s'arrêter aux frontières du pays, se concevoir dans le carcan des frontières. Les droits et les intérêts des travailleurs sont internationaux. Défendre les idées de l’internationalisme dans la prochaine campagne des européennes est pour cela une étape importante pour nous, en lien avec les luttes que nous menons dans les entreprises, sur nos lieux de travail et de vie, avec la lutte que nous menons dans le mouvement des gilets jaunes pour défendre une politique de classe, internationaliste, face au populisme ambiant, au souverainisme, et au chauvinisme, ses drapeaux tricolores et sa marseillaise… Cette campagne, quelle que soit la façon dont nous la mènerons, est importante parce qu’elle nous permettra de nous adresser à un public large, qui est en train de se politiser, aidé par le mouvement des Gilets jaunes. Elle nous permettra de rendre crédibles nos idées à une plus large échelle, de convaincre, de donner envie aux travailleurs, aux jeunes de rejoindre notre combat.

Face à la montée des populismes en Europe, de l’extrême-droite, des forces réactionnaires intégristes au Moyen-Orient et partout dans le monde, le mouvement ouvrier a subi des reculs et n’a pas le rapport de force. Mais il n'y a rien d'irréversible. Bien au contraire, le développement de la contestation sociale et politique, des révoltes à l'échelle internationale depuis le début des révolutions dans le monde arabe semble indiquer qu'un renouveau du mouvement démocratique et révolutionnaire est en route. Comme en témoigne la lutte du peuple algérien, les luttes massives des femmes sur tous les continents, mais aussi les luttes des travailleurs en Europe, la remontée du mouvement ouvrier en France depuis 2016 … Cette remontée des luttes des travailleurs et des peuples à l’échelle du monde représente la seule réponse au chaos engendré par la mondialisation libérale et on peut penser que la nouvelle période qui s’ouvre sera celle des révolutions pour une société débarrassée de l’exploitation et de tous ses avatars obscurantistes et réactionnaires, pour le socialisme.

Christine Héraud, François Minvielle