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Réunion débat du 20 juin 2015 - Introduction au débat préparée par Patrick Chaudon, Christine Héraud et Isabelle Ufferte

religions

Il ne se passe pas un jour sans que d’une façon ou d’une autre soit posée la question de la place de la religion dans la société ou qu’il soit fait mention de la laïcité. Près de 6 mois après les attentats contre Charlie et l’hyper casher de Vincennes, les questions concernant l’attitude face à la religion font débat dans tout le mouvement social, dans le mouvement syndical et politique, sur les lieux de travail, parmi la jeunesse.

Comment réagir ? En quels termes se posent ces questions pour un parti anticapitaliste, révolutionnaire, œuvrant à l’émancipation ? Quel contenu donnons-nous à la laïcité ? C’est ce dont nous proposons de débattre.

Les attentats ont contribué à polariser ces questions

On ne compte plus les prises de position, les articles, les livres plus ou moins polémiques réagissant à ces évènements. Par certains aspects, l’onde de choc qui a suivi rappelle celle des tours jumelles en 2001. En grande partie parce qu’ils sont une expression de la violence et du chaos, de la décomposition générés par l’oppression impérialiste sur la planète. Et la présence le 11 janvier en tête de la manifestation parisienne de nombre de chefs d’Etat ou de leurs représentants venus des quatre coins de la planète témoigne d’enjeux qui concernent l’ensemble du monde impérialiste.  

La réponse du gouvernement a été immédiate : instrumentalisant l’émotion, le sentiment d’urgence et la réaction spontanée de large solidarité dans la population, Hollande, Valls, Cazeneuve, Sarkozy… ont appelé à l’union nationale.

Alors que des millions de personnes de toutes générations et de toutes origines disaient leur attachement à la liberté d’expression, leur refus de la terreur, de l’obscurantisme, du racisme, que ce soit dans la rue, dans les lycées, les entreprises, les quartiers, le gouvernement lui cherchait à faire admettre comme naturelle la présence de l’armée devant les écoles, dans les centres commerciaux, les gares... et préparait la loi sur le renseignement. La chasse à tous ceux qui refusaient de se plier à l’injonction d’ « être Charlie » a été ouverte. Ceux qui refusaient ont été suspectés d’apologie du terrorisme, jusqu’à des gamins convoqués au commissariat et des malades mentaux mis en garde à vue.

Alors qu’un large mouvement défendait le droit d’expression, le droit à la différence, à la contestation, le pouvoir s’est empressé d’utiliser tout ce qu’il pouvait pour encadrer, faire taire. La machine à susciter la suspicion s’est mise en marche pour tenter de briser les solidarités qui s’exprimaient. Il ne pouvait y avoir qu’une alternative : la soumission... non pas à Allah ou à Yavé mais aux prétendues « valeurs républicaines ».

On a eu droit à une débauche de discours glorifiant la France et la soi-disant laïcité. Tout un tas d’annonces ont été faites : la mise en place de l’apprentissage à l’école de ces « valeurs républicaines », le « renforcement du contenu de l’enseignement laïque du fait religieux » et une « journée de la laïcité » a même été décrétée.

Un vrai bal de faux-cul quand on voit la place de choix qu’occupe la religion dans la société, comment les classes dominantes et le pouvoir s’appuient sur elle et ses différentes branches, et comment ils nourrissent l’obscurantisme et les préjugés, dont les préjugés religieux, pour mieux diviser et désarmer notre camp social.

Les déclarations qui ont suivi les attentats en disent long. On a eu droit aux déclarations d’Estrosi sur les « 5èmes colonnes islamiques » mettant en péril la « civilisation judéo-chrétienne » mais aussi de Valls expliquant après les menaces d’attentats contre des église à Villejuif « s’en prendre à une église, c'est s’en prendre à l'essence même de la France »…  Et le soir même de la manif du 11 janvier, on a vu Hollande, Valls et Cazeneuve, portant kipa, se précipiter à la grande synagogue pour l’hommage religieux aux victimes de l’hypercasher aux côté de Netanyahou, Sarkozy...

Les liens étroits entre l’Etat et les religions, une longue tradition 

On se souvient de Sarko et son discours de Latran en 2007 devant le pape de l’époque, Benoît 16 : « Dans la transmission des valeurs et de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le prêtre ou le pasteur (...) parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance » ; de Giscard contre l’entrée de la Turquie dans l’Europe et qui voulait inscrire les prétendues racines chrétiennes de l’Europe dans la constitution européenne… faisant écho aux propos du cardinal Raztinger en 2004 (aux sympathies troubles et futur Benoit 16) : « Historiquement et culturellement, la Turquie a peu de choses en commun avec l'Europe. Ce serait une grande erreur de l'incorporer à l'Union... La Turquie a un fondement islamique. Elle est très différente de l'Europe qui est une collectivité d'Etats séculiers avec des fondements chrétiens ». Plus récemment, fin 2014, le Pape François était l’hôte officiel du Parlement européen, invité à s’exprimer à la tribune.

Et les autres religions ne sont pas en reste comme en témoignent la présence régulière des divers présidents de la république au diner du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France), dont le président pouvait se permettre de déclarer en février dernier, juste avant ce diner « Toutes les violences aujourd'hui sont commises par de jeunes musulmans »…

Quant aux relations de l’Etat avec l’Islam, on en a eu un échantillon lundi dernier avec la réunion au ministère de l’Intérieur de 150 représentants du culte musulman invités par Valls et Cazeneuve (ministre de l’Intérieur « en charge des relations avec le culte »). Réunion où a entre autre été décidé la création d’ « une fondation pour une meilleure connaissance de l’islam ». Le gouvernement cherchant à mettre en place une institution pour pallier au conseil français du culte musulman (créé par Sarkozy) qui n’a guère d’autorité dans la population musulmane.  (C’est le même soucis qui a amené Cazeneuve le 25 fév dernier dans les mosquées de Bordeaux et Cenon)

Tout cela donne la mesure de la laïcité dont on nous rebat les oreilles et des liens pour le moins étroits que l’Etat et les classes dominantes entretiennent avec les trois principales religions.

Et à la faveur de la crise économique, sociale, démocratique, les religions sont à l’offensive, essayant de tirer profit d’une situation propice aux démagogies et aux préjugés... Des préjugés racistes, anti-immigrés, mais aussi religieux et communautaristes, qui s’alimentent les uns les autres, échappant par nature à la raison et sur lesquels surfent tous les démagogues.

Le phénomène est malheureusement international, comme en témoigne Pegida en Allemagne (Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident) tandis qu’en France le FN capitalise la démagogie raciste de la droite et du gouvernement.

L’ensemble des organisations du monde social, syndical, sont questionnées

Pour les militants du mouvement ouvrier, les acteurs du mouvement social, cette situation pose bien des questions. Comment lutter à la fois contre l’emprise de la religion sous toutes ses formes et contre les préjugés dont sont victimes musulmans et juifs, contre ce racisme ordinaire aux multiples visages en refusant toute instrumentalisation ?

Pour illustrer la difficulté : une expression s’est aujourd’hui imposée, celle de la lutte contre l’islamophobie, alors que ce mot mériterait certainement débat. Car s’il est compris comme un combat contre les préjugés qui visent les musulmans, sa signification (et le sens que lui donne certains) est un combat en défense d’une religion, ce qui est tout autre chose.

Parmi les débats : il y a la hiérarchisation que certains mettent dans la lutte contre les oppressions et les préjugés, en particulier entre l'islamophobie et l'antisémitisme ? Mais aussi les amalgames entre peuples et religions, arabes et musulmans, ou ceux qui assimilent antisionisme et antisémitisme pour mieux discréditer le premier.

L’ensemble des organisations du monde social, syndical, sont questionnées par ces problèmes, avec une acuité nouvelle à la faveur de la crise internationale et de la montée de l’islamisme politique. Et les événements de Charlie ont amplifié les polarisations, dans un contexte où la boussole de classe est hésitante.

Le NPA a été confronté à ces questions dès ses débuts avec le choix d’un comité de présenter une jeune femme voilée à Avignon en 2010. Et les débats perdurent sur le rapport aux religions et plus particulièrement à l’Islam. Cela a été dernièrement le cas à propos de la participation ou pas à un meeting contre l’islamophobie en mars à Paris auquel participaient des organisations ouvertement réactionnaires (le NPA n’a pas appelé et le débat a traversé un certain nombre d’organisations).

Pour « éclairer » en quelque sorte ces débats, nous vous proposons de revenir sur l’histoire du mouvement ouvrier et de sa lutte pour l’émancipation, contre l’obscurantisme. Il ne s’agit pas de trouver des réponses toutes faites aux situations d’aujourd’hui ni de convoquer les grands hommes pour clore nos débats, mais de reprendre à notre compte une méthode, celle du matérialisme militant, pour le socialisme :

Nous allons sur la question de la laïcité, avec un retour sur l’histoire pour revenir aux débats et aux implications concrètes aujourd’hui.

Puis nous aborderons la question religieuse, avec un bref retour sur l’histoire des religions et … de leur critique matérialiste, et sur la façon dont les révolutionnaires ont essayé de répondre aux situations et aux problèmes qui se posaient à eux à différentes périodes. Avant de revenir rapidement sur les débats au sein des organisations anticapitalistes et les questions qui se posent aujourd’hui à nous militants pour la transformation révolutionnaire de la société, un projet qui n’a guère de place pour Dieu… 

 

La Laicité

La laïcité est en train de redevenir un thème mis à toutes les sauces des débats politiques actuels.

Beaucoup de politiciens réactionnaires, Marine le Pen en tête, se sont récemment découvert la fibre laïque. De la gauche à l’extrême-droite, la laïcité est brandie comme garde-fou de la démocratie, du vivre ensemble, face à la soi-disant offensive de l’islam qui mettrait en péril les grandes valeurs de la république.

Beaucoup d’amalgames, de propagande, d’instrumentalisation, qu’il nous faut décrypter si l’on ne veut pas mélanger notre voix à celle des démagogues réactionnaires qui réinventent une laïcité au service de leurs préjugés et de leur combat politique antisocial.

On entend parler de laïcité ouverte, communautariste, strictement fidèle à la loi de 1905, de laïcards… sans y comprendre grand-chose de ce dont se revendiquent les uns et les autres. Et si l’on ne veut pas se laisser entraîner sur le terrain de toutes les démagogies réactionnaires, un petit retour en arrière sur l’histoire est nécessaire. Tous se réfèrent à la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais qu’en est-il exactement ? Que dit la loi ? En quoi ne serait-elle plus respectée ? Y a-t-il des éléments nouveaux dans l’évolution de la situation depuis 1905 qui nécessiterait de la changer ?

I - Historique de la laïcité : des Lumières à la loi de 1905

1 / La bourgeoisie révolutionnaire « laïcise » l’Etat et la société

A l’origine, la laïcité est une idée progressiste, révolutionnaire, qui date du XVIIIème siècle.

Elle s’enracine dans la lutte des Lumières, qui portaient les intérêts de la bourgeoisie révolutionnaire contre la société féodale et la Monarchie. Cette lutte idéologique des Lumières prit la forme d’une lutte pour le progrès, pour la science, d’un combat contre les préjugés et obscurantismes qui dominent les cerveaux et les soumettent, en premier lieu la religion et son institution sociale, l’Eglise, qui était le pilier de la Monarchie.

En balayant l’Ancien régime, la révolution française réalisa la totale séparation de l’Eglise et de l’Etat et laïcisa l’ensemble de la société. La seule religion de la bourgeoisie, c’était la propriété.

2 / Le compromis entre la bourgeoisie, devenue classe dominante, et l’Eglise

Mais devenue classe dominante, la bourgeoisie recomposa vite avec l'Eglise pour consolider et légitimer son pouvoir, face au prolétariat naissant qui commençait à contester sa domination.

Napoléon rendit très vite à l'Eglise ses prérogatives. Avec le Concordat de 1801, il scellait un accord avec le Vatican, qui rendait à l'Eglise catholique le monopole de l'enseignement et de la formation des instituteurs.

L’Église redevint une institution d’État, bénéficiaire des subventions publiques.

Puis la loi Falloux fut promulguée le 15 mars 1850, après le bain de sang perpétré par la bourgeoisie contre le prolétariat révolutionnaire de juin 1848. Cette loi élargit les droits de l'école dite " libre " et son pouvoir sur l'ensemble du système scolaire. Elle décrétait la priorité de l'éducation religieuse sur les autres matières enseignées à l’école et la prépondérance morale du curé sur l'enseignement dispensé par l'instituteur.

3 /  L’anticléricalisme de la bourgeoisie industrielle et coloniale, son combat pour la laïcité. La loi du 1905.

Mais très vite, les besoins de l’industrie ont nécessité un prolétariat plus instruit, formé aux techniques modernes et la lutte contre le monopole de l’Eglise sur l’enseignement est alors devenue le fer de lance de la bourgeoisie industrielle et colonialiste, dont les intérêts politiques étaient défendus par le parti radical et son leader Gambetta. L’anticléricalisme devint son principal cheval de bataille.

Mais en 1871, c'est la Commune, le premier Etat ouvrier, qui a décrété la Séparation complète des Eglises et de l'Etat et qui en a voté les mesures, même si elle manqua du temps nécessaire pour toutes les mettre en œuvre : elle réquisitionna les biens de l'Eglise sans compensation, laïcisa totalement la société et instaura l'instruction publique et gratuite, en supprimant l'instruction religieuse des programmes. Elle bannit l'Eglise du domaine public, en tant que religion, pouvoir d'oppression et de domination.

Par la suite, le combat pour l'instruction laïque, est demeuré un des combats essentiels du mouvement ouvrier socialiste : " instruire pour révolter ".

Le combat anticlérical de la bourgeoisie radicale trouva dans le mouvement ouvrier socialiste un allié, contre les forces réactionnaires, l’Eglise et les monarchistes. La bourgeoisie y trouvait son compte, c’était une façon d’entraîner la classe ouvrière sur un terrain qui l’éloignait de son combat de classe. Les radicaux bourgeois, de Gambetta à Emile Combes se retrouvèrent au coude à coude avec les dirigeants du mouvement ouvrier socialiste Jules Guesde et Jaurès, face à la réaction et à l’Eglise.

Après l’écrasement de la commune, les cléricaux relevèrent la tête et le combat devint plus acharné. Mais dans le contexte de modernisation de la société, de révolution industrielle, d'évolution scientifique et technique, qui poussaient au recul des idées religieuses, et de fait à la laïcisation de l'Etat… la lutte anticléricale aboutit aux lois scolaires de Jules Ferry de 1881, 1882 et 1886 qui créaient l’école laïque, correspondant aux besoins de la bourgeoisie. Ces lois constituent encore les bases de l'école de la République, « laïque, gratuite et obligatoire », école sans Dieu mais non sans morale, qui inculqua à des générations d’enfants d’ouvriers le respect de la loi, de la propriété et les valeurs " civilisatrices " du colonialisme.

Des lois de laïcisation de l’espace public furent promulguées à la même époque. Hôpitaux et tribunaux furent retirés de la gestion directe de l’Eglise.

Cette lutte pour la laïcisation de l’espace public connut son aboutissement en 1905, avec la séparation complète des Eglises et de l’Etat, après l’arrivée au pouvoir du parti radical en 1902. (avec Emile Combes comme président du conseil).

C’est la pression exercée sur la société par les luttes du mouvement ouvrier pour la démocratie et l'appui décisif des socialistes au Parlement qui permirent le vote de la loi de 1905. " Les socialistes…, en revendiquant en même temps la laïcisation générale de l'instruction et de l'assistance publique ne font que contraindre la bourgeoisie à aller jusqu'au bout de ses principes et à moderniser bourgeoisement l'Etat " expliquait Rosa Luxembourg.

Cette loi consacrait la victoire de la bourgeoisie industrielle sur la société et marquait la défaite définitive du camp monarchiste-clérical.

C’est fondamentalement une loi bourgeoise.

C’était une loi de compromis :

  • Compromis entre républicains et socialistes de diverses obédiences – l'aile gauche socialiste, notamment, voulait aller plus loin.
  • Compromis avec l’Eglise : " une loi d'équilibre permettant la pacification ", selon le radical Aristide Briand. Car la séparation était loin d'être complète. L'Etat nationalisa les biens de l'Eglise, faisant passer leur financement à sa charge, tout en en laissant la jouissance aux cultes. Face aux violentes émeutes fomentées par les cléricaux, il recula très vite. En 1919, une nouvelle loi autorisait l'Etat à financer les écoles privées de l'enseignement technique. A la fin de la guerre, le gouvernement du très anticlérical Clémenceau maintint le Concordat de 1801 en Alsace-Moselle redevenues françaises (concordat qui existe toujours aujourd’hui). L’Etat ferma les yeux sur la réinstallation illégale des congrégations dans le pays.

L'Etat de la bourgeoisie (et ses serviteurs de droite comme de gauche) renouait son vieux compromis avec l'Eglise face aux progrès du socialisme et du mouvement ouvrier, renforcés par la révolution russe et la vague révolutionnaire en Europe à la fin de la guerre.

La loi de 1905 ne cessera d’être battue en brèche tout au long du XXème siècle.

Toute bourgeoise qu’elle était, et malgré toutes ses limites, la loi de 1905 constituait et constitue toujours pour le mouvement ouvrier un acquis du point de vue des droits démocratiques et un point d’appui dans la lutte contre l’influence des religions.

4 / Que dit la loi ?

Loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État :

« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… » (art. 1er).

« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (...) » (art 2).

Beaucoup des défenseurs de la laïcité et tous les démagogues qui l’instrumentalisent aujourd’hui réduisent la loi de 1905 à son article 2 qui dit que l'Etat ne finance aucun culte. Mais même cet article intègre une exception, pour les aumôneries dans des lieux fermés (internats, hôpitaux, prisons, armée). Pourquoi ? Parce que, pour garantir la liberté de conscience, et d’opinion, l’Etat doit parfois y aller de sa poche... C’est là toute la difficulté à appliquer cette loi : à la fois garantir la liberté de culte et n’en subventionner aucun ! C’est là aussi la brèche ouverte pour tous les démagogues actuels qui ne reprennent dans cette loi que ce qui les arrange. 

Les mêmes difficultés qu’aujourd’hui se sont posées à l’époque dans l’application de la loi : il y a eu par exemple polémique sur le port de la soutane. Certains estimaient qu'il fallait l'interdire, parce qu'elle était plus politique que religieuse. Soit exactement les mêmes débats qu'aujourd'hui sur le voile ! A l'époque, Aristide Briand expliquait que la séparation des Églises et de l'Etat faisait que n'importe qui pouvait maintenant se promener en soutane et que la République ne garantissait plus aux curés le monopole de la soutane. Voilà comment se comprenait l’application de l’esprit de la loi dans le contexte de l’époque !

La loi de 1905 libéralisait aussi les processions religieuses, puisque l’Etat garantissait la liberté de culte. Donc, quand Marine le Pen explique doctement que ce texte permet l’interdiction des prières de rue, il y a mensonge et manipulation.

Au fond, la loi de 1905 posait essentiellement ce fait : la séparation des institutions étatiques d’avec celles de l’Eglise, la fin de la religion d’Etat. On voit bien qu’elle était suffisamment ouverte pour être instrumentalisée, utilisée au profit de n’importe quelle bataille politique et beaucoup de démagogues d’aujourd’hui ne s’en privent pas.

II - L’actualité de la loi de 1905 : est-elle dépassée et à refonder ?

Quel est l’enjeu de la bataille qui fait rage autour de la laïcité ?

Aujourd’hui, ceux qui, à droite et au FN, prétendent défendre la laïcité en oubliant l’art 1 de la constitution, qui dit que « la République assure la liberté de conscience… garantit le libre exercice des cultes », sont clairement dans une instrumentalisation de la laïcité qui stigmatise et discrimine les pratiquants de l’islam. Dans leur laïcité, seul l’islam est visé. Au nom de la neutralité de l’Etat, qui ne subventionne aucun culte (seul, cet article 2 est mis en avant), c’est à une attaque en règle contre l’islam à laquelle on assiste, un islam réduit aux djihadistes, aux terroristes islamistes. Leur laïcité, c’est avant tout l’exclusion d’une seule religion, l’islam.

Et une exclusion qui au-delà des institutions de l’Etat, et des personnels de la fonction publique, voudrait s’appliquer à tout l’espace public, ce qui est totalement étranger à la loi. (loi sur la burqa)

Dans cette propagande nauséabonde, toutes les populations d’origine arabe et au-delà tous les immigrés, tous les étrangers, sont stigmatisés, désignés comme de dangereux ennemis sur « le territoire de nos ancêtres ». Pour les Marine le Pen, les Sarkozy et autres Estrosi, la laïcité est devenue le drapeau, la justification de leur bataille politique xénophobe et raciste.

Marine le Pen est incontestablement devenue la championne de la laïcité. Le comble est que la défense de la laïcité, qui était plutôt jusque-là le monopole de la gauche, est aujourd’hui devenu celui de la droite extrême et du FN. 

Comment en est-on arrivé là ?

Il faut bien comprendre que l’enjeu des polémiques autour de la laïcité a bien peu de choses à voir avec la religion et beaucoup à voir avec le combat politique raciste et xénophobe des réactionnaires de la droite dure et de l’extrême-droite. Et que les polémiques à rebondissement sur le voile ou la burqa ont bien peu à voir avec l’émancipation des femmes.

Oubliées pendant des décennies, ces polémiques autour de la laïcité resurgissent dans le cadre des évolutions du monde depuis la chute du mur de Berlin et la fin des deux blocs, et les attentats du 11 septembre qui ont marqué le basculement du monde et l’ont fait entrer dans l’ère du « choc des civilisations ».

Au début des années 1980, la droite se manifestait plutôt par des propos contre les immigrés en agitant la peur d’être envahis. En 1985, une couverture du Figaro Magazine titrait « Serons-nous encore français dans 30 ans ? », et montrait une Marianne portant un foulard. La crise fait remonter à la surface les pires préjugés et en particulier le racisme anti-immigrés qui joue sur les peurs irrationnelles, agités par les démagogues qui cherchent à diviser les opprimés. (la grève des ayatollah de Mauroy en 84 lors de la grève Talbot-Poissy ou les odeurs de Chirac…).

Le racisme ordinaire contre les immigrés a peu à peu fait place à une stigmatisation plus précise de l’islam. On a assisté en 1989 à la première affaire du foulard dans un collège de Creil. A la même période, Khomenei lançait la fatwa contre Salman Rushdie dans le monde entier. Les politiques et les médias commençaient à orchestrer la peur de l'islam politique.

Après le 11 Septembre, l'islam a été clairement associé à une immigration dangereuse, menaçante. C’est à cette époque que Baroin lançait le programme laïque de la droite : «Pour une nouvelle laïcité», montrant bien qu'il s'agissait de tout autre chose que de la laïcité « historique », mais bien de l’affirmation sur le registre culturel et identitaire d’une France chrétienne, face à l’islam.

On aboutit en 2004 à la loi sur le voile (et dans la même logique en 2010 à celle sur la burqa). Avec toutes les justifications qu’a pu connaître le vote de cette loi (notamment l’émancipation des femmes…), elle était clairement une loi de stigmatisation de l’islam et au-delà de tous les musulmans, et des immigrés dans leur ensemble. C’est pour cette raison que la position de la LCR avait été à l’époque de la dénoncer en tant que loi raciste et de s’abstenir, défendant le « ni loi ni voile ».

Depuis, la droite dure, en concurrence avec le FN sur le terrain du racisme et de la xénophobie, a trouvé en Sarkozy un porte-parole de ses revendications identitaires, d'une France tournée vers ses « racines chrétiennes » et son refus de s’accommoder de l'islam, devenue la 2ème religion de France. En 2007, à peine élu, Sarkozy se précipite à Rome pour y déclarer que « la laïcité n'a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû ». Et : « Dans la transmission des valeurs (...) l'instituteur ne remplacera jamais le curé (...) ».

C'est cet usage de la laïcité de droite, anti-islam qui est aujourd'hui dominant dans le discours politique, une laïcité d’abord et avant tout à vocation anti-immigrés. Il n’y a qu’à parcourir le programme des uns et des autres pour le mesurer. Les programmes de l’UMP et le FN sont d’ailleurs à peu près identiques.

Dans son programme, le FN vise explicitement et exclusivement l’islam, et non l’ensemble des religions ou croyances, puisqu’il assimile la défense de la laïcité à la lutte contre le multiculturalisme. Le FN prône une « préférence chrétienne », justifiée par l’histoire millénaire du christianisme en France – discours qui est aussi celui de l’UMP tendance Sarkozy.

Tout laïques qu’ils se prétendent, le FN, pas plus que l’UMP ne revendiquent la suppression du concordat en Alsace-Moselle. Marine Le Pen voudrait interdire les prières de rue… et toute manifestation publique de l’islam. Mais quand d’autres religions occupent l’espace public, à commencer par les catholiques intégristes, le FN n’y voit rien à redire, pas plus qu’à l’occupation de l’espace public par les JMJ, le grand rassemblement international de la jeunesse catholique. Marine Le Pen voudrait aussi appeler le ministère de l’intérieur « ministère de l’intérieur, de l’immigration et de la laïcité », cherchant à établir directement un lien entre laïcité et immigration, l’immigré menaçant forcément la laïcité et la république...

Dans le même temps, la stigmatisation des musulmans s’accompagne d’une volonté de l’Etat d’encadrer et de contrôler les populations visées en s’appuyant sur les responsables de l’islam eux-mêmes. En 2005, les émeutes qui ont éclaté dans les banlieues ont alerté le gouvernement (de Sarkozy, 1er ministre de l’époque) sur l’urgence de trouver des interlocuteurs capables de représenter la jeunesse d’origine immigrée des banlieues, de plus en plus révoltée, qui brûlait les voitures et commençait à se tourner vers l’islam radical. Le gouvernement a cherché des moyens d’empêcher le développement d’un islam « des caves », largement subventionné par les monarchies islamistes comme l’Arabie Saoudite et échappant à tout contrôle des organisations musulmanes modérée traditionnelles.

 C’est le sens de la création du CFCM par Sarkozy en 2003, qui actait la reconnaissance par l’Etat de la communauté musulmane de France. Avec le CFCM, l’Etat ouvrait le dialogue avec les principales associations musulmanes (FNMF (Maroc), la grande mosquée de Paris (Algérie), l’UOIF (frères musulmans) dans un souci d’encadrement de la communauté, et avant tout de la jeunesse des banlieues. Avec l’aggravation de la crise, qui entraîne une radicalisation de cette jeunesse, dont une partie se tourne aujourd’hui vers l’islam radical, faute de réponses portées par le mouvement ouvrier, le gouvernement cherche maintenant de nouveaux interlocuteurs. Dans le contexte de lendemain des attentats contre Charlie, c’est le sens de la conférence sur l’islam, convoquée mercredi dernier (15 juin) par Hollande. « Le gouvernement reçoit son islam de France » titrait Libé. 150 personnalités issues de tous les milieux musulmans ont été rassemblées et cette fois, les portes étaient ouvertes à des figures connues pour être proches de l’islam radical.

Le rapport du gouvernement à l’islam est comme on le voit, bien loin de préoccupations strictement religieuses.

De même que les discours de la droite et du FN autour de la laïcité, n’ont rien à voir avec le problème du rapport de l’Etat aux religions.

C’est un combat politique qui vise la population d’origine immigrée, celle des quartiers populaires et en particulier sa jeunesse, étiquetée « musulmane », donc étrangère et dangereuse. Et la droite n’a pas le monopole de ce combat. La gauche participe de cette politique raciste et xénophobe, anti-immigrée, par sa politique sécuritaire, sa politique de répression contre les rroms, ou d’expulsion des migrants.

Pour nous, militants révolutionnaires, la laïcité reste un point d’appui pour combattre l’offensive des intégristes religieux quels qu’ils soient, islamistes, catholiques ou juifs et leurs prétentions à imposer leur obscurantisme et leurs préjugés à toute la société.

Cette laïcité, il s'agit surtout de la faire vivre, et de se battre avec ceux qui la défendent. C'est une bataille démocratique qui est pleinement la nôtre, et que nous menons avec tous ceux qui luttent contre les oppressions, qu'elles soient religieuses, contre les femmes, ou de toutes autres formes.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas de polémiquer sur le terrain imposé par les forces réactionnaires, à savoir qui est le meilleur laïque, mais de dénoncer l’instrumentalisation politique pour des objectifs anti-immigrés, de division du monde du travail, et de lutter pour l’unité de tous les travailleurs, quelles que soient leurs croyances, pour mener la lutte des classes.

Et si nous sommes profondément solidaires de tous ceux qui défendent la laïcité, comme un acquis démocratique, notre combat de révolutionnaires ne s’arrête pas là. Nous ne sommes pas, pour notre part, neutres envers la religion. Notre lutte est celle de l’émancipation sociale, qui nécessite l’affranchissement par rapport aux idées religieuses, idées de la soumission et de la domination de classe. C’est à travers cette lutte pour s’émanciper que les travailleurs s’affranchiront des préjugés de toutes sortes dont les préjugés religieux.

 

 

La critique matérialiste de la religion - De la critique intellectuelle à la critique sociale

« La critique de la religion est le fondement de toute critique », Karl Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1843

Cette phrase rappelle que toute critique (y compris de l’ordre établi) suppose la mise en cause radicale des représentations, illusions, qui justifient cet ordre et contribuent à le reproduire. C’est par la critique antireligieuse que Marx a commencé sa critique de l’ordre établi, même si la religion n’a pas toujours été l’objet central de sa critique.

1- Survol rapide de l’histoire des religions

Voilà une définition un peu précise de la religion :

Engels : « toute religion n’est que le reflet fantastique dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres prennent la forme des puissances supra-terrestres » (Anti-Dühring)

Elle permet de comprendre pourquoi les 1ères conceptions du monde sont des conceptions religieuses. Les 1ers hommes étaient dominés par les phénomènes naturels et les craintes qu’ils leur inspiraient : sans pouvoir les expliquer, ils leur prêtent des attributs surnaturels.

3 grandes formes historiques de conscience religieuses :

1ères formes : « l’animisme », avant les sociétés de classes, dans les sociétés primitives (ou communautaires). C’est la 1ère tentative pour comprendre le monde. Les puissances de la nature reçoivent des propriétés divines. La religion sert, par ses mythes, à unifier le groupe social dans sa lutte contre la nature, à organiser les hommes et leurs activités (les sorciers ou les chamanes proclament les dates propices aux semences, aux récoltes, à la pêche, à la chasse…)

2ème forme : le polythéisme (correspond aux 1ères sociétés de classe, à la mise en place des premiers Etats). Les forces mystérieuses de la nature deviennent des personnages fantastiques : chez les Egyptiens, Hindous, Perses, Grecs, Romains, chinois, celtes, slaves, précolombiens…

3ème forme : le monothéisme. L’ensemble des attributs naturels des dieux est reporté sur un seul dieu tout puissant. Pour le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam, cette forme de conscience religieuse est à relier à des entreprises de dominations politiques :

Pour le Judaïsme : c’est la possibilité d’unifier un peuple (les hébreux) autour de la loi commune

Pour le Christianisme romain : adoptée par Constantin (325), c’est un moyen de réaliser l’unité de l’empire, avec de nombreux peuples différents, l’empire ne pouvant plus se satisfaire de l’ancien polythéisme.

Pour l’Islam : ça doit être corrélé à l’expansion du commerce arabe autour de la Méditerranée à partir du VIIe siècle, à la constitution de l’Empire arabo-musulman

Pour le christianisme dans l’occident médiéval (christianisme féodal) : après la conversion des Francs au christianisme, c’est un moyen pour mieux contrôler les populations (déjà christianisées) soumises à l’empire romain. l’Eglise va occuper une place centrale dans la société médiévale, dans les rapports de production (elle possède des seigneuries), dans l’appareil d’Etat (le clergé est proche du pouvoir royal), dans les rapports idéologiques (il contrôle l’enseignement, le « salut des âmes »…)

  1. La critique matérialiste de la religion et ses fondements historiques

Cette critique est forcément très ancienne : dès que la pensée tente de raisonner logiquement, elle se confronte à la pensée religieuse.

Le matérialisme antique

Matérialisme : courant philosophique selon lequel le réel prime sur la pensée, le réel existe indépendamment de la pensée, le réel produit la pensée et non l’inverse. Cette idée est exprimée en Grèce à partir du VIe siècle av JC avec l’essor des sciences.

Démocrite, Epicure et l’atomisme :

Démocrite : « Rien ne vient de rien. Rien de ce qui existe ne peut être anéanti. Tout changement n’est qu’agrégation ou désagrégation de parties » : cette proposition renferme les grands principes de la physique moderne sur la matière indestructible, sur l’idée qu’on ne peut rien créer à partir du Néant.

Cette pensée permet de voir la différence entre idéalisme et matérialisme sur le problème de l’origine du monde :

Pour l’idéalisme, la question de l’origine est une question centrale : l’origine, c’est Dieu (ou « l’Idée du Bien » selon Platon) et Dieu a créé le monde à partir du Néant. C’est dans l’origine qu’est contenue toute la vérité des choses et aussi leur destination finale.

Pour le matérialisme, la question de l’origine n’a pas de sens. Avant le commencement, il y a toujours-déjà quelque chose. Les atomes, particules insécables en nombre infini, tombent de toute éternité dans le vide, comme des gouttes de pluie : rien ne se passe avant le commencement du monde mais toute la matière propre à le former existe déjà. Le monde commence en vertu d’une propriété des atomes : le « clinamen » ou la déclinaison (déviation infime de leur trajectoire) qui entraîne nécessairement la rencontre d’un atome déviant avec l’atome voisin. Rien ne serait créé sans le « clinamen » : c’est la déviance, la rencontre, la prise (lorsque la rencontre « prend ») qui crée le monde.

Démocrite et Epicure appréhendent le monde comme lieu du changement incessant (alors que la pensée religieuse pense le monde comme immuable)

Le rationalisme moderne (16e-18e) - Croissance et expansion de la bourgeoisie

XVI - XVII – XVIIIe siècles : les bouleversements artistiques, religieux, scientifiques de la fin du Moyen Age sont liés à l’expansion de la bourgeoisie. Quand l’Europe émerge du Moyen Age, la bourgeoisie est déjà une classe dont les intérêts entrent en contradiction avec les classes dominantes de la féodalité, qui devient un système à abattre.

La lutte contre le système féodal doit nécessairement être une lutte contre l’Eglise, pour  2 raisons :

l’Eglise est au cœur du féodalisme,

l’Eglise condamne les sciences de la nature dont la bourgeoisie a besoin pour le développement de la production industrielle.

Cette lutte s’est déroulée en 3 actes : la réforme allemande au 16e, la révolution anglaise au 17e et les Lumières au 18e en France.

Acte I : La Réforme protestante est le 1er acte de la lutte de la bourgeoisie contre le féodalisme, elle est le produit de l’imprimerie (XVe-XVIe), elle valorise le jugement critique de l’individu face à l’autorité ecclésiastique, prépare les révolutions bourgeoises du XVIIe et XVIIIe, c’est-à-dire l’avènement des nations modernes, la destruction des liens féodaux.

Acte II   La révolution anglaise au 17: pays de la 1ère révolution bourgeoise (compromis entre bourgeoisie montante et propriétaires féodaux) et aussi le berceau du rationalisme moderne (c’est aussi là où les sciences expérimentales se sont le plus développées.)

John Locke (après Bacon) poursuit la réflexion et part de l’idée que toute connaissance ne peut être que le fruit de l’expérience. Il met l’accent sur l’expérience dans l’acquisition des connaissances. Il en conclut qu’il n’existe pas dans l’esprit humain des idées innées, qu’on ne naît pas avec des idées toutes faites, pas même celle de Dieu.

Acte III Le siècle des Lumières en France :

 « Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement. Il faut fouler au pied toutes ces vieilles puérilités » (Diderot et d’Alembert, Prospectus de l’Encyclopédie, 1750)

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander » (article « autorité politique » de l’Encyclopédie).

C’est une mise en cause radicale de la monarchie de droit divin qui repose sur l’idée que le pouvoir du roi est naturel puisqu’il émane de Dieu.

Mais le matérialisme des Lumières correspond à une vision non dialectique (mécanique) du monde : les objets sont pensés indépendamment les uns des autres. Il n’intègre pas encore leur mouvement, leurs contradictions, leurs évolutions. Pour le physicien Isaac Newton, les corps célestes sont supposés éternels. Pour le naturaliste Carl Von Linné, les organismes sont immuables depuis la Genèse. Ce matérialisme est encore incapable de concevoir le monde comme processus, comme matière en voie de développement où les choses naissent et périssent. Ce matérialisme est encore pris dans l’idéalisme (métaphysique) : il condamne le passé au nom de la raison et de la morale (bourgeoise) alors qu’il faut libérer les hommes en découvrant les lois motrices de l’histoire (la lutte des classes).

  1. Le matérialisme marxiste : la critique sociale de la religion

« La détresse religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre cette misère-là. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de chose dépourvu d’esprit. La religion est l’opium du peuple. »
Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel, 1844

  1. L’athéisme de Marx et Engels

Marx et Engels sont résolument athées, mais avec quelques nuances

Marx : héritier les Lumières, d’un père juif, protestant de convention, voltairien convaincu. Contrairement à Engels, Marx n’a pas traversé de crise religieuse. Il n’a jamais connu l’expérience de la foi. Elevé dans un milieu libéral et rationaliste, fermé à toute inquiétude religieuse, « naturellement » athée, il refuse toute croyance en un être transcendantal.

Engels : issu d’un milieu protestant rigoureux, il fait l’apprentissage des mises en question, de la confrontation entre foi et raison.

  1. La coupure de 1844-1845 :

Dans la 11e thèse sur Feuerbach : Marx rompt avec les jeunes hégéliens qui croient en la domination des idées, qui luttent contre les représentations du monde au lieu de lutter contre le monde réel pour le transformer.

Dans la 4e thèse sur Feuerbach, Marx pose une question décisive : non pas d’où vient la religion ? mais d’où vient le besoin de religion ?

“Une fois qu'on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c'est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu'il faut révolutionner dans la pratique“ 
Marx , 4e thèse sur Feuerbach

Cette idée va jalonner toute leur œuvre.

Dans L’idéologie allemande (1845) : Marx et Engels montrent que les idées religieuses sont des représentations imaginaires des rapports sociaux de production. La religion n’a pas d’histoire (à elle, autonome). C’est le monde existant qu’il faut révolutionner et pas sa représentation.

  1. La science des sociétés humaines

On passe de la spéculation philosophique à la science des sociétés humaines. Contrairement aux jeunes hégéliens qui pensent qu’il faut détruire la religion pour changer le monde, Marx/Engels considèrent que la religion ne pourra disparaître qu’avec les classes sociales. Lorsqu’on aura délivré tous les membres de la société de la servitude, le reflet religieux disparaîtra « parce qu’il n’y aura plus rien à refléter ».

La conscience religieuse est une idéologie parmi d’autres. La critique ne peut pas se contenter, comme le fait le rationalisme des Lumières, de critiquer la religion.

Il faut dépasser l’athéisme abstrait : il faut s’attaquer aux conditions sociales qui font naître le besoin de paradis, non pas renoncer aux illusions mais renoncer à un état qui a besoin d’illusions.

Engels : « Les persécutions sont le meilleur moyen de faire naître des croyants (…) le seul service que l’on puisse rendre aujourd’hui à Dieu, c’est de déclarer que l’athéisme est un article de foi obligatoire, et de surenchérir sur les lois anticléricales en interdisant la religion en général »

  1. L’expérience bolchévique : religion et lutte des classes

Pour Lénine et Trotsky : en matière de religion, il faut raisonner en matérialiste dialectique : ennemi de la religion, non pas d’un point de vue abstrait, théorique, mais sur le terrain de la lutte réellement en cours.

Contre les sectaires (les révolutionnaristes) qui veulent introduire la reconnaissance de l’athéisme dans le programme des partis ouvriers : ça serait le meilleur moyen d’aviver l’intérêt pour la religion.

« Il n'est point de livres ni de propagande qui puissent instruire le prolétariat, s'il ne s'instruit pas au cours de sa propre lutte (…). Voilà pourquoi, dans notre programme, nous ne proclamons pas et nous ne devons pas proclamer notre athéisme ;» Lénine, « Socialisme et religion », 1905

Contre les opportunistes qui pensent que la religion est une affaire privée : elle est une affaire privée vis-à-vis de l’Etat mais pas pour le mvt ouvrier organisé qui, lui, doit pratiquer l’athéisme militant pour l’émancipation de la classe ouvrière, ne peut rester indifférent à l’obscurantisme religieux.

«Nous exigeons que la religion soit une affaire privée par rapport à l'Etat, mais nous ne pouvons en aucune manière considérer la religion comme une affaire privée par rapport à notre propre Parti.» Lénine, «socialisme et religion», 1905

Comment mener la lutte antireligieuse dans le mvt ouvrier ?

Il faut expliquer de façon matérialiste la source de la foi, la propagande athée doit être subordonnée aux besoins de la lutte des classes en cours, aux besoins de la lutte réelle, aux stratégies d’alliances pour la démocratie et à l’unité de l’ensemble de la classe ouvrière

La critique antireligieuse brute ne mène à rien auprès d’une population aux prises avec des préjugés religieux. Mieux vaut « perforer le rocher » (Trotsky), c’est-à-dire engager une attaque non frontale.

«les méthodes formalistes de critique anti-religieuse, la satire, la caricature, etc… ne peuvent pas faire grande chose. Et si l’on y va trop fort, on risque d’obtenir un résultat inverse. Il faut perforer le rocher (...)» Trotsky, Sens et méthodes de la propagande anti-religieuse (1925)

 

Des débats aujourd’hui au sein du mouvement anticapitaliste et révolutionnaire

En tant que révolutionnaires, l’hypothèse de Dieu ne nous concerne pas. Nous ne nous situons pas par rapport à la religion, nous militons pour le socialisme, pour l’abolition de la société de classes par l’intervention des femmes et des hommes eux-mêmes, pour qu’ils aient la pleine maîtrise de leur vie. Notre parti s’appuie sur une conception matérialiste de l’histoire des sociétés humaines et sur les acquis de la science moderne.

Nous ne menons pas un combat contre la religion en tant que telle : nous combattons les superstitions, les peurs, l’ignorance. La lutte contre l’oppression est indissociable de la lutte contre l’idéologie et la morale des classes dominantes et contre tous les outils qu’elles utilisent pour distiller la soumission et justifier leur domination. Mais notre parti est ouvert aux personnes croyantes qui souhaitent le rejoindre à partir du moment où elles en partagent le programme et les principes qui nous unissent, ici sur terre, contre toutes les formes d’oppression.

Au sein de la gauche et de l’extrême-gauche, des intellectuels, des militants ou certains courants considèrent que l’islam justifie une attitude particulière dans la mesure où elle est essentiellement la religion de peuples opprimés et de millions d’immigrés en Europe.

Cela a amené ou amène certains d’entre eux à avoir des attitudes acritiques vis-à-vis de l’islam, voire de courants fondamentalistes musulmans, au nom du fait qu’il étaient ou sont en lutte contre l’impérialisme et à ce titre porteurs de radicalité, voire alliés potentiels. La politique du SWP (Socialist Worker Parti) en Angleterre mérite en particulier quelques mots. (le SWP est un parti avec qui nous avons des liens : des camarades du NPA viennent de SPEB (socialisme par en bas), courant issu du SWP qui a rejoint la LCR en 2004).

En 1994 Chris Harman, alors dirigeant du SWP, écrivait en conclusion d’un livre (Le prophète et le prolétariat) : « Sur certaines questions nous serons du même côté que les islamistes contre l’impérialisme et contre l’Etat. C’était le cas, par exemple, dans un grand nombre de pays lors de la seconde guerre du Golfe. Ce devrait être le cas dans des pays comme la France ou la Grande Bretagne lorsqu’il s’agit de combattre le racisme. Là où les islamistes sont dans l’opposition, notre règle de conduite doit être : ‘’avec les islamistes parfois, avec l’Etat jamais’’ ».

Et le SWP l’a mis en pratique : en 2001, il a pris une part active dans le mouvement contre la guerre en Irak, « Stop the war », s’alliant pour l’occasion avec des courants islamistes, organisant des meetings dans des mosquées. Au lendemain des attentats du 11 septembre, le SWP écrivait : « nous devons construire un mouvement anti-guerre de masse sur la base la plus large possible… sans mettre d’autres conditions (par exemple des condamnations du terrorisme) qui pourraient nous aliéner des alliés potentiels importants et sous-entendre que l’ennemi principal est autre que l’impérialisme occidental ». En 2004, le SWP fondait dans le prolongement une nouvelle coalition électorale « Respect », avec des organisations musulmanes.

Et dernièrement, au lendemain des assassinats à Paris, le communiqué du comité central du SWP parlait à leur propos d’ « attaques erronées » en en faisant porter une grande part de responsabilité à Charlie hebdo qualifié de « spécialiste dans la présentation d’attaques provocatrices et racistes sur l’islam » enchaînant « Cela ne justifie pas les meurtres, mais c’est une question essentielle de fond »…

(Charb a répondu, de façon posthume, aux accusations de racisme et d’islamophobie dans un petit pamphlet au titre certes provocateur « Lettre ouverte aux escrocs de l'islamophobie qui font le jeu des racistes » mais dont le contenu est utile au débat).

L’accusation d’islamophobie vis-à-vis de ceux qui critiquent la religion musulmane ou simplement marquent leur distance, n’est pas si rare dans une partie du milieu militant. Des écrivains comme Tevenian se sont fait une spécialité de ces raccourcis. Son livre « la haine de la religion - comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche » part en guerre contre ce qu’il appelle une « posture antireligieuse » visant en particulier le NPA et des déclarations de Philippe Poutou en 2012, travestissant nos positions..

Et dans le mouvement social, dans les mobilisations, en particulier dans celui en soutien au peuple palestinien, nous sommes confrontés à ces problèmes.

Sans compter que certains voudraient nous faire partager leur « culpabilité » moralisatrice d’occidentaux vis-à-vis de peuples opprimés par l’impérialiste. Cette conception nous est étrangère : nous ne nous plaçons pas sur le terrain de la culpabilité ou de la compassion, mais sur celui de la lutte de classes. Nous luttons pour l’unité de notre classe contre les préjugés racistes, la xénophobie, les discriminations, qu’ils se cachent ou non derrière des préjugés antimusulmans, antijudaïques ou antichrétiens.

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